
Les 1000 premiers jours : Comment le cerveau des parents se transforme pour accompagner leur enfant
janv. 24
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Lorsque l'on parle des 1000 premiers jours, on pense souvent au développement du bébé. Pourtant, cette période marque également une transformation profonde chez les parents. Le cerveau adulte, qui atteint sa maturité vers 25 ans, retrouve une plasticité exceptionnelle. Pendant cette période, le cerveau des mères et des pères se réorganise, s’adapte et se spécialise pour répondre aux besoins de ce tout petit qui bouleverse leur vie. Ces changements, essentiels pour développer le lien parent-enfant, s’accompagnent également de fragilités. Découvrons ensemble les changements qui s'opèrent dans le cerveau des parents pour accompagner les tout petits.
Une plasticité cérébrale accrue en période périnatale, en particulier chez les mères
La plasticité cérébrale désigne la capacité du cerveau à se modifier et à s’adapter en réponse aux expériences, à l’apprentissage ou aux blessures. Grâce à cette propriété, le cerveau peut créer de nouvelles connexions, renforcer les circuits existants ou compenser certaines pertes, en fonction des expériences, tout au long de la vie.
Autour de la naissance, la plasticité cérébrale augmente chez les deux parents, bien qu’il semble qu’elle soit encore plus forte chez les mères. (Pawluski, 2022).
Dans ce cas de figure, il s’agit d’une adaptation du cerveau vers un fonctionnement plus efficace et plus spécialisé pour le grand bouleversement en cours qu’est le devenir parent. Néanmoins, cette période de remaniement s’accompagne également d’une vulnérabilité plus grande à son environnement et aux pathologies psychiques.
Si les parents vivent des événements difficiles au cours des 1000 premiers jours de vie de leur enfant (travail, finances, relations de couple, absence d’aide de l’entourage) , s’ils souffrent de traumatismes non résolus (“non digérés”) ou s’ils ont vécu eux-même des événements stressants lors de leur propre petite enfance, cela peut empêcher le cerveau de se focaliser pleinement sur les besoins de l’enfant, étant déjà mobilisé par d’autres défis.
Les parents retraversent, implicitement, les stades de développement de leur enfant. Des événements non digérés peuvent donc se réactiver chez eux et perturber le lien avec le tout petit (Smith, 2019).
Le remodelage cérébral : Une spécialisation pour répondre aux besoins de l’enfant

Le cerveau parental se spécialise pour optimiser les interactions avec le bébé. Cela se traduit par une augmentation de la capacité à reconnaître les signaux émotionnels et physiques de l’enfant. Le cerveau des parents est remodelé par les interactions continues et répétées avec l’enfant. Comme toujours, le cerveau se modifie en fonction de son environnement, et le cerveau parental, des mères en particulier, n’échappe pas à cette règle. Ce remodelage vise à se spécialiser pour cet enfant-là, avec ses particularités et besoins propres (Pawluski, 2022).
Des zones comme l’amygdale, le cortex insulaire et le cortex cingulaire antérieur se mettent en alerte pour décoder les pleurs, les sourires ou les expressions faciales du nourrisson. Cette sensibilité accrue est indispensable pour répondre rapidement aux besoins émotionnels de l’enfant. Cependant, ce "superpouvoir" peut aussi s’accompagner d’une vulnérabilité accrue au stress ou à l’anxiété. La clé pour les parents est de trouver un équilibre, ce à quoi l’ocytocine contribue en régulant les réactions émotionnelles (Swain & al, 2014).
Les sens et les capacités cognitives en pleine optimisation
Il semble que les capacités mnésiques des parents soient augmentées après la naissance de leur enfant. Ci-après quelques exemples d’études intéressantes.
Seulement quelques heures après la naissance, un parent peut reconnaître son nouveau-né parmi d’autres simplement en touchant sa main. Ce phénomène démontre que la parentalité active des capacités sensorielles uniques, renforçant la connexion avec l’enfant. (Kaitz & al, 1992)
Après la naissance, la mémoire visuelle s’améliore également. Cela permet aux parents de décrypter plus rapidement les signaux émotionnels du bébé, comme un sourire ou des pleurs. Cette capacité les aide à décoder les expressions faciales de leur bébé et à mieux comprendre ses besoins (Ning & al, 2020).
Ces capacités semblent influencées par les hormones de la grossesse, comme l’ocytocine et les œstrogènes, qui réorganisent les priorités cérébrales (Glynn, 2010).
Certaines structures cérébrales sont particulièrement actives, comme l’amygdale chez les mères en réponse aux pleurs du bébé. C’est non seulement un signe d’attachement fort, mais également un facteur prédictif de la qualité des soins maternels (Kim & al, 2010).
Les interactions positives avec l’enfant, comme le sourire ou le contact physique, stimulent les circuits de récompense du cerveau, notamment le noyau accumbens et le système dopaminergique. Cela motive les parents à prendre soin de leur enfant et à renforcer le lien affectif. A l’aide d’IRM fonctionnelle, des chercheurs ont observé une activation accrue des régions du cerveau liées à la récompense (Noriuchi & al, 2008)
Certaines mères rapportent des difficultés de mémoire ou de concentration, souvent surnommées « baby brain » ou “mommy bain”. Il semble que ces changements cognitifs sont liés à l’action combinée des hormones de la grossesse et à une réorientation des ressources neuronales vers les besoins parentaux (Glynn, 2010).
Des transformations extraordinaires pour les cerveaux des mères
Entre la conception et la naissance, on observe une diminution globale de la taille du cerveau et une augmentation de la taille des ventricules cérébraux (Oatridge & al, 2002). Ces changements sont similaires à ceux survenant durant l’adolescence des femmes (Carmona & al, 2019). Ils ciblent particulièrement les régions impliquées dans l’empathie et l’attachement, des compétences vitales pour répondre aux besoins d’un bébé.
Deux processus majeurs sont en jeu :
L’élagage synaptique, un processus par lequel les connexions neuronales inutiles (synapses) sont éliminées pour renforcer celles qui sont essentielles.
La myélinisation, (la myéline est une gaine de cellules qui entoure les neurones) qui augmente la vitesse de conduction et la synchronisation des informations.
Ces ajustements se produisent dans de nombreuses zones du cerveau, notamment l’amygdale, l’hippocampe, l’hypothalamus, l’insula et le cortex préfrontal. Ces changements sont très visibles chez toutes les jeunes mères et se produisent durant au moins deux ans. Ils renforcent l’empathie, la motivation à s’occuper de l’enfant, la capacité à comprendre ses besoins, ainsi que la régulation émotionnelle (Hoekzema & al, 2017).
Environ deux ans après la naissance, le cerveau maternel retrouve un volume équivalent à celui d’avant la grossesse, après avoir éliminé les connexions inutiles et renforcé celles nécessaires à la parentalité. C’est pendant cette période sensible des 1000 premiers jours que tout cela se met en place.
La maternité semble avoir un rôle neuroprotecteur à long terme
Les effets de cette réorganisation cérébrale durent! Des chercheurs ont observé que les changements cérébraux liés à la parentalité restent visibles chez les femmes jusqu’à au moins 70 ans. Les mères ayant élevé plusieurs enfants conservent une organisation cérébrale plus spécialisée et segmentée, avec une connectivité réduite entre certains réseaux, reflétant un fonctionnement cérébral plus jeune et efficace. Ces adaptations, probablement liées aux défis cognitifs et hormonaux de la maternité, semblent protéger le cerveau contre les effets du vieillissement (Orchard & al, 2021).
L’impact des troubles post-partum

Le cerveau des femmes est modifié différemment si elles souffrent de troubles post-partum tels que la dépression, le TSPT, la psychose ou l’anxiété (Pawluski & al, 2017). Ces troubles, qui surviennent souvent en période de grande vulnérabilité, perturbent le bon déroulement de la réorganisation cérébrale et augmentent la probabilité de difficultés dans la relation parent-enfant.
En effet, à tout âge de la vie, une plus grande plasticité cérébrale signifie un potentiel de spécialisation formidable mais aussi une période de vulnérabilité. Cela augmente la probabilité de troubles psychiques qui, eux-mêmes, perturbent cette réorganisation.
L’accouchement peut parfois être vécu comme un traumatisme, conduisant jusqu’à 4 % des femmes à développer un trouble de stress post-traumatique (TSPT), des chiffres montants même à 15% s’il y a des complications grave, une naissance instrumentale ou un manque de soutien pendant l’accouchement (Yildiz & al, 2017; Ayers & al, 2015). Les symptômes de TSPT vont avoir une influence sur la relation mère-enfant, plus ils sont intenses, plus la qualité de la relation mère-enfant est impactée. Les femmes montrent plus comportements détachés, sont moins chaleureuses et moins sensibles aux signaux de leur bébé (Frankham & al, 2023).
Il y a donc urgence à offrir le meilleur cadre possible aux mamans pour vivre ce moment le plus important de leur vie avec le plus de douceur possible.
L’influence de l’environnement
Les changements cérébraux des parents ne se produisent pas en vase clos. Le stress chronique, le manque de sommeil ou l’absence de soutien social peuvent perturber ces processus. À l’inverse, un environnement chaleureux et soutenant optimise les transformations cérébrales (Feldman et al., 2012).
Les interactions quotidiennes, comme le regard et le toucher entre un parent et son enfant, synchronisent leurs ondes cérébrales, renforçant le lien affectif et le développement cognitif de l’enfant. Ces moments renforcent non seulement la relation parent-enfant, mais aussi les compétences parentales (Feldman et al., 2012).
Ces changements sont très profonds, il s'agit d'un véritable bouleversement physiologique, davantage encore pour les mamans, c'est comme une nouvelle étape de développement et c'est fatiguant! Des conditions favorables sont donc nécessaires pour une réorganisation optimale.
La réparation des traumatismes grâce à la thérapie LI-ICV
La thérapie d’intégration du cycle de la vie (Lifespan Integration) offre des solutions pour traiter les traces d’événements difficiles ou traumatisants liés à la naissance, au manque de soutien ou au stress périnatal.
Il existe même un protocole permettant au parent de retraverser les souvenirs de vie avec son enfant. C’est souvent très émouvant et des prises de consciences profondes ont lieu. Voici quelques exemples de ce que j’ai pu entendre:
"Je lui en demande trop, je suis trop exigeant, elle est petite en fait."
"Elle est tellement courageuse, je suis fier d’elle."
"En fait, ça n’a rien à voir avec mon fils, il va bien lui, c’est moi qui stresse. C’est à moi de régler ça."
A la fin du protocole beaucoup de parents concluent par "j’ai envie de lui faire un câlin" et sont pressés de rentrer chez eux pour partager un moment de complicité.
Ces séances de thérapie sont très touchantes et permettent au parent de se reconnecter à leur enfant. Elles renforcent leur relation avec l’enfant tout en les aidant à mieux comprendre leurs propres réactions émotionnelles.
Conclusion
Les 1000 premiers jours représentent une période cruciale, non seulement pour le développement de l’enfant, mais aussi pour les transformations cérébrales des parents. Comprendre et soutenir ces changements est essentiel pour créer un environnement optimal et favoriser des relations parent-enfant harmonieuses.
Devenir parent, c’est bien plus qu’un rôle : c’est une transformation profonde, qui commence dans le cerveau. Ces changements, bien que parfois épuisants, permettent aux parents de tisser un lien unique avec leur enfant et de répondre à ses besoins de manière instinctive et empathique.
Pour les professionnels, ces données rappellent l’importance d’accompagner les familles avec bienveillance pendant cette période sensible. Pour les parents, elles soulignent que les défis rencontrés ne sont pas des faiblesses, mais les signes d’une adaptation extraordinaire à ce nouveau chapitre de vie.
Si vous êtes parent ou travaillez auprès des familles, gardez ceci à l’esprit : chaque transformation, aussi exigeante soit-elle, est une preuve de l’incroyable résilience et des capacités d’adaptation du cerveau humain. Alors, prenez soin de vous et entourez-vous, car un parent ou un professionnel épanoui, c’est avant tout un parent ou un professionnel soutenu.
Bibliographie:
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Carmona, S., Martínez-García, M., Paternina-Die, M., Barba-Müller, E., Wierenga, L. M., Alemán-Gómez, Y., Pretus, C., Marcos-Vidal, L., Beumala, L., Cortizo, R., Pozzobon, C., Picado, M., Lucco, F., García-García, D., Soliva, J. C., Tobeña, A., Peper, J. S., Crone, E. A., Ballesteros, A., . . . Hoekzema, E. (2019). Pregnancy and adolescence entail similar neuroanatomical adaptations: A comparative analysis of cerebral morphometric changes. Human Brain Mapping, 40(7), 2143–2152. https://doi.org/10.1002/hbm.24513
Frankham, L. J., Thorsteinsson, E. B., & Bartik, W. (2023). Birth related PTSD and its association with the mother-infant relationship: A meta-analysis. Sexual & reproductive healthcare : official journal of the Swedish Association of Midwives, 38, 100920. https://doi.org/10.1016/j.srhc.2023.100920
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Hoekzema, E., Barba-Müller, E., Pozzobon, C., Picado, M., Lucco, F., García-García, D., Soliva, J. C., Tobeña, A., Desco, M., Crone, E. A., Ballesteros, A., Carmona, S., & Vilarroya, O. (2017). Pregnancy leads to long-lasting changes in human brain structure. Nature Neuroscience, 20(2), 287–296. https://doi.org/10.1038/nn.4458
Kaitz, M., Lapidot, P., Bronner, R., & Eidelman, A. I. (1992). Parturient women can recognize their infants by touch. Developmental Psychology, 28(1), 35–39. https://doi.org/10.1037/0012-1649.28.1.35
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Smith, J., Steffan, A. J., & Mann, L. (2019). La régulation des émotions dans la famille : L’ICV auprès des parents, des enfants et des adolescents (p 10-13). Dunod.
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